2h30 du matin.
Elle vient juste de quitter mon appartement.
Son odeur flotte encore dans l’air, se mêlant aux effluves de tabac et de la pluie mouillant le pavé. L’averse s’est arrêtée. Dehors, le calme règne, comme si la ville souhaitait respecter, en observant un silence apaisant, son départ. J’ai envie de me griller une dernière cigarette, mais le désir de me laisser enivrer par son parfum est bien trop grand. Je m’abstiendrai, pour une fois. Je prends une profonde respiration avant de me lever en direction de mon lit. Je m’écroule de tout mon poids sur le matelas, comme si je venais d’être frappé par la foudre.
Quelque part, c’est un peu ce qu’il s’est produit.
J’avais toujours hésité à croire aux coïncidences. Dans cet orgueil qui me caractérise si bien, j’avais souvent eu tendance à penser qu’en tant qu’être vivant doué de conscience et de libre-arbitre, avec dix doigts (dont deux pouces) et un cœur, j’avais été capable d’influer sur le cours de mon existence. Ce que j’avais désiré du plus profond de mon âme ne m’était jamais tombé du ciel, tout cuit dans le bec. Il avait fallu forcer le destin, le faire plier à son bon vouloir. Montrer qu’on n’était pas du genre à se laisser porter par les évènements. Au contraire, être en prise directe avec la réalité. Alors oui, ça avait très bien fonctionné dans certains cas. Artistiquement parlant, si j’en étais arrivé là où j’étais aujourd’hui, c’était bien parce que j’y avais mis plus que du mien. J’étais parvenu à modeler une vie à mon image. Sculptée dans ses moindres détails. Tout ce que j’avais compté de volonté et de motivation dans la bataille. Pas le fruit du hasard, définitivement.
« Salut… »
J’ai toujours l’air con quand je dis « Salut ». Surtout quand je suis impressionné. Là, je l’avais été plus que de raison. 5 minutes plus tôt, je finissais de siroter ma bière sur la terrasse d’un café quelconque, un sac de disques à mes pieds, fraîchement glanés parmi les bacs de mon pote Médé. Il faisait beau, juste assez d’air pour respirer. On sentait l’été, palpable, approcher à grande vitesse, dans le souffle discret du vent. J’étais tranquille, j’étais peinard… La suite de la chanson, tu la connais.
« Salut… »
J’accompagne cette parole hésitante d’un geste de la main. Tout aussi hésitant, d’ailleurs. C’est limite si je ne tremble pas. J’espère que je suis le seul à me rendre compte de cet état dans lequel je saute allègrement, les deux pieds joints. C’est si bon de se sentir déstabilisé. L’adrénaline qui fait des loopings à 360 à l’heure dans tes veines. Le cœur battant tellement fort qu’il pourrait exploser à n’importe quel moment dans un fracas de chair et de sang mêlés. Le cerveau en ébullition, incapable de fonctionner correctement. Les cordes vocales qui jouent de la scie musicale, la voix chevrotante dans le plus parfait des aigus.
« Salut… »
Merde, je rêve ou elle vient de me répondre ? Merde, merde, c’est moi qu’elle regarde ? Merde, merde, merde, c’est bien moi qu’elle regarde et je suis en train de rougir…
Voilà, ça c’était moi le jour où je l’ai rencontré pour la première fois. Enfin, pour être tout à fait honnête, je mens un peu sur les bords. Ce n’était pas la première fois que je croisais son regard envoûtant. On s’était déjà fait face un soir dans un bar. Je devais être juste derrière elle, à l’entrée du comptoir, attendant mon tour d’être servi. Elle s’est retournée, je me suis écarté pour la laisser passer. Et ce fut tout. Ah si. « Wow », fut le premier mot qui me vint à l’esprit. « C’est qui cette fille ? », la première phrase intelligible. « Laisse tomber », le premier signe de renoncement.
Ouais, c’est bien de pouvoir mener des projets à termes, avec toute la rage et la détermination dont je peux humainement faire preuve. Malheureusement, il n’en allait vraiment pas de même concernant ma vie amoureuse. J’avais été seul la plupart de ce temps passé sur Terre. Je n’avais, et n’avais eu, peur de rien, sauf de l’amour. Dans un moment de faiblesse, je m’étais parfois laissé aller à ces choses que l’on nommait plus communément « sentiments envers une personne du sexe opposé », voire même « sentiments envers une personne du même sexe »… Au creux de la vague, je buvais souvent la tasse. Mais je ne me noyais jamais totalement et je remontais vaille que vaille à la surface pour, au final, sortir fièrement la tête hors de l’eau… Je suis cynique, ça m’aide à me protéger. En fait, la vérité est que j’avais toujours eu peur de m’investir dans une relation. Très tôt, je m’étais senti incapable d’assumer un tel engagement envers un autre être vivant (que moi-même). Et puis, même si mon cœur avait déjà battu pour des filles et des garçons, cela n’avait jamais été assez fort à mon goût. J’avais eu peur. Très peur. J’avais eu besoin d’un sentiment encore plus puissant pour surmonter cette angoisse. J’avais eu besoin d’aimer. Intensément et entièrement. Infiniment et sincèrement.
Tout ce que je créais était, de fait, imprégné de cette absence cruelle.
Je m’étais découvert très tôt une passion pour l’écriture. Vers l’âge de 7 ans. J’avais accompagné mes parents à l’anniversaire d’un de leurs amis. Pendant que les adultes avaient passé leur soirée dans le salon à discuter tout en buvant ce qui leur tombait sous la main, j’étais resté prostré dans la cuisine, en compagnie du chien de la maison, la télévision allumée pour occuper mes pensées. Inutile de préciser que je m’emmerdais à mourir. Motivé par l’ennui et ce sentiment de solitude prégnant, peut-être propre à chaque enfant unique, je me suis mis à écrire. Rien de particulier, juste ce qui me passait par la tête. Sous forme de poèmes. Sujets divers et variés. La vie, la mort, l’amitié. Un poème pour ce chien silencieux qui restait couché dans un coin de la pièce. Un autre sur l’école. À la fin de la soirée, j’en eus pas loin d’une dizaine, éparpillés sur toute la longueur du plan de travail. J’éprouvai alors pour la première fois un sentiment de fierté. C’était autre chose que de créer un cendrier en terre cuite pour la fête des mères ou dessiner une connerie en couleurs pour célébrer les fêtes de fin d’année.
Je me suis plus arrêté depuis.
Récemment, j’ai pondu les quelques lignes qui suivent, un soir où je déprimais gentiment.
« 21h30. Il fait nuit. Le soleil est déjà planqué depuis 4 bonnes heures. Quelque part. Là où l’air est plus respirable. C’est drôle comme on aime souvent à se dire qu’on préférerait être partout ailleurs sauf ici. Tendre à se rassurer sur l’état monotone de sa vie. Que tout pourrait être si différent sous d’autres cieux. Alors qu’en fait il y a ces éternelles invariables, ces cas de figures communs à tout un chacun. Ces gros détails qui font qu’une fois ailleurs, tu te rends soudainement compte que, maintenant comme avant, rien n’a véritablement changé.
Quand tu as le cœur brisé, peu importe de se retrouver dans le froid glacial d’une ville de l’Est de la France ou à Hawaï. La tristesse reste la même. Toujours présente au plus profond de toi. Certaines situations font que tu l’oublies parfois. Mais partout où tu as beau vouloir te cacher, il y a toujours un moment, un infime moment, une seule petite seconde pendant laquelle tu te rappelles brusquement à quel point tu te sens seul. Ce n’est pas qu’un sentiment. Tu es bel et bien seul. Prisonnier de tes pensées. Les paupières tellement endolories par le froid qu’il t’empêche d’ouvrir les yeux.
Je pense pas mal à tout ça quand je bas le pavé de ma bonne vieille ville. Qu’il soit tard ou pas. Quand je me retrouve seul, écoutant le couinement de mes semelles trop neuves sur le sol humide. Ce bruit énervant, tournant à l’obsession. Comme un cœur qui bat trop vite. Je marche en baissant la tête. Je réfléchis. Je réfléchis trop. Digicode. Monte les marches deux à deux. Jamais trop pressé de rentrer. 4 étages. Et puis la porte de mon appartement. Je sors la clef de ma poche. Cette seconde. Cet infime moment. J’hésite à activer le mécanisme. Mais la curiosité prend toujours le dessus. Une fois le verrou mis, je me retrouve dans le noir. Il n’y a pas un bruit dans le hall. Tout est calme et froid. Encore une seconde d’hésitation.
Comme tous les soirs, il n’y a personne sur le canapé, assis les jambes en tailleur, une bière à la main, en train de regarder un film d’horreur. Comme tous les soirs, il n’y a personne qui squatte le bureau en bois, la tête plongée dans un truc vital à écrire. Comme tous les soirs, il n’y a personne pour foutre le bordel dans mes vinyles, cherchant coûte que coûte la perle rare, la chanson qui parfois peut changer le destin d’une vie. Comme tous les soirs, il n’y a pas âme qui vive entre ces murs. Comme tous les soirs, les assiettes sales s’empilent sur la table de la cuisine, les casseroles pleines d’eau usée débordent de mon évier tristement blanc. Comme tous les soirs, les canettes vides côtoient ces bouquins que je ne finirai peut-être jamais de lire. Comme tous les soirs, un disque tourne dans le vide parce que j’ai oublié d’éteindre la platine. »
C’était il y a seulement quelques mois de ça. C’est drôle comme la vie aime à te jouer des tours. C’est vrai, et je le répète, j’ai toujours hésité à croire aux coïncidences du destin. Chimère. Espoir factice. Opium du peuple. Pourtant, aujourd’hui même, par je ne sais quel miracle cosmique, le destin a, pour une fois, fait acte de présence.
Je suis peut-être toujours seul dans mon appartement, mais je ne le suis plus dans mon immeuble…
jeudi, septembre 28, 2006
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
5 commentaires:
Je te dit pas que j'aime bien ta façon d'écrire parce que ça flatterai trop ton ego démesuré; par contre, t'as déjà songé à écrire un livre ? Ca pourrait être sympa.
C'est encore plus flatteur pour mon égo démesuré, ce que tu dis là...
Je verrai bien un truc à la Demian, à la 1ère personne, les pensées et l'errance d'un jeune homme de notre époque.
Rien compris.
Un truc à la Demian, d'Herman Hesse.
Enregistrer un commentaire