lundi, avril 30, 2007

Interview - THOMAS LECHNER / QUEERBEAT BOOKING AGENCY

Le hasard fait bien les choses. J'ai appris l'existence de QUEERBEAT suite à un concert de Hyacinth donné début août 2006 à Münich et un mail d'Alex. Nous sommes restés en contact depuis, et c'est ainsi que je fus amené à organiser des concerts pour des groupes de leur roster (KIDS ON TV en avril, THE PLANE IS ON FIRE à la fin du mois de mai).

Thomas a pris la peine de répondre à mes questions à la con.

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Quelle est la genèse de Queerbeat ? Une idée géniale, un soir de cuite, ou bien un projet mûrement réfléchi ?

Ca s’est développé tranquillement, étape par étape, sans que nous ayons une idée précise derrière la tête. J’ai commencé à organiser des concerts et des teufs en 1996 en m’appuyant sur les ressources de notre scène locale. De fil en aiguille, de plus en plus de groupes se sont tournés vers moi, pour des concerts d’une part, mais également pour du tourbooking. Je me suis dit « Pourquoi pas ? » et les premiers sur lesquels je me suis fait les dents ont été DIE MOULINETTES. Au début, on organisait des concerts en Allemagne, en Suisse et en Autriche seulement. Puis je me suis retrouvé à bosser pour LE TIGRE. Après notre première tournée à travers ces pays, les filles m’ont demandé si ça me branchait d’être leur agent pour l’Europe. Ca me tentait d’essayer et ça marche plutôt bien depuis. Après ça, THE HIDDEN CAMERAS sont venus vers moi avec la même idée en tête (ils ne voulaient pas évoluer dans le circuit musical classique et, de ce fait, quitter leur agent britannique). Et nous voilà aujourd’hui réunis autour de cette interview.

Qui était à l’origine de Queerbeat ? Seulement toi ou bien d’autres personnes étaient-elles déjà investies dans le projet ? Comment se répartit le travail ?

Moi et mon ancien petit ami. On faisait du deejaying ensemble. Il nous a quittés deux ans après sa création. Mais à mesure que Queerbeat grandit, se développe, je suis amené à rencontrer de plus en plus de monde partageant la même vision du monde. J’essaie donc d’impliquer tout le monde dans nos projets, de faire travailler des gens ensemble. Queerbeat est une compagnie (ma compagnie) mais nous fonctionnons en tant que collectif au niveau des décisions.

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Thomas

Il y avait beaucoup de bookers ou de promoters orientés gay et lesbien à l’époque de la création de Queerbeat ? Comment les gens ont réagi au début ?

Non. Et Queerbeat n’était pas destiné à se revendiquer « gay et lesbien ». Au départ, nous ne travaillions exclusivement qu’avec des artistes hétéros. Tout est venu naturellement, c’était évident pour nous de travailler avec des artistes gays et lesbiens par la suite. L’idée que nos artistes hétéros n’aient aucun problème à bosser avec une structure queer est plutôt plaisante en soi. Précision : pour nous, « queer » est un terme qui qualifie aussi bien ta sexualité que tout ce qui est étrange, inhabituel, excitant, musicalement anticonformiste.

Qu’est-ce qui a changé en 10 ans d’activités ?

Au début, il n’y avait pas de groupes queers dans notre roster. Nous avions pas mal d’artistes féminines ou de groupes avec des filles (DIE MOULINETTES, POP TARTS, LALI PUNA, TUNIC, FRED IS DEAD au début, LE TIGRE, LESBIANS ON ECSTASY, GRAVY TRAIN plus tard). On ne bookait pas de groupes queers, puis en 1999 j’ai commencé à bosser sur le Candy Club, une teuf queer alternative sur Munich (avec pas mal de concerts à chaque fois). Après Popstarz à Londres, c’est la deuxième plus vieille teuf de ce genre en Europe et elle a toujours autant de succès. À force d’être en contact avec des groupes queers, on s’est dit que c’était une orientation artistique plutôt plaisante à prendre. C’était également intéressant de constater que les exigences et les besoins de ces groupes diffèrent souvent de ceux des groupes hétéros. Une volonté de développement alternatif, un engagement profondément marqué envers une scène queer/féministe/DIY. On s’est donc retrouvé au milieu de tout ça, à essayer de connecter plusieurs scènes, plusieurs milieux ensemble, créer des ponts entre le business classique de la musique et l’alternative que représentent les groupes dont nous assurons la promotion. De ce fait, ceux-ci ont tout aussi bien accès au circuit des clubs et des festivals qu’aux concerts DIY.

N’est-ce pas un peu difficile de sauter d’un groupe à un autre, d’ELECTRELANE ou CORNERSHOP à KIDS ON TV et KITTY EMPIRE ? Bosser, d’un côté, avec de gros festivals et de l’autre avec des types comme moi, par exemple, ne doit pas forcément être évident…

ELECTRELANE, CORNERSHOP, SHELLAC, SLEATER KINNEY, STEREO TOTAL sont des groupes dont nous avons organisé les concerts à Munich. Nous ne nous occupons en revanche pas de leurs tournées. Mais je ne vois aucun inconvénient ou contradiction à bosser avec différents promoters. La chose la plus importante reste ceci : est-ce qu’ils respectent nos artistes et est-ce qu’ils comprennent leurs besoins spécifiques ? Je me souviens d’un kid qui n’arrivait pas à comprendre pourquoi les filles de LE TIGRE, après avoir tourné pendant plus de 15 années (en ce qui concerne Kathleen Hanna), refusaient encore de dormir par terre après le concert. Elles ont besoin d’intimité et de tranquillité et c’est ce qu’une chambre d’hôtel peut par exemple offrir. Le mec m’a alors dit que ce n’était pas du tout une attitude punk. Je lui ai répondu que c’était un manque de respect. D’un autre côté, j’ai convaincu les filles de jouer à un LadyFest en Slovénie afin de soutenir la scène locale. Comme l’organisatrice du festival n’avait pas assez d’argent pour les faire jouer, nous avons baissé le cachet et je n’ai pas pris de commission. Au final, je pense que ces deux attitudes sont tout à fait compatibles.

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Alex

En 10 ans d’existence, quelles sont les dates qui ont marqué le parcours de Queerbeat, les événements qui l’ont amené à être ce que cette entreprise est aujourd’hui ?

Chaque instant que nous passons ensemble au sein de Queerbeat est un moment crucial, que ce soit lorsque nous devons dealer avec les taxes ou lorsqu’on doit trouver de l’argent pour pouvoir continuer à exercer nos activités. En fait, chaque nouvelle expérience a véritablement été cruciale pour Queerbeat : les débuts du Candy Club, le booking pour LE TIGRE, le premier festival que nous avons organisé avec nos propres thunes, la première teuf que nous avons monté à la mairie de Munich, la première Gay Pride dans laquelle nous étions investis (en 2000), le premier festival que nous avons organisé pour le Bavarian Broadcast… Le premier concert sold-out de LE TIGRE (à Berlin avec PEACHES en 2004 ; 500 personnes attendaient à l’entrée du club alors qu’il n’y avait plus de places disponibles), le premier contact avec un gros label (un contrat avec BMG pour NOVA INTERNATIONAL qui devait ne faire que 12 pages… La version définitive en compta 56). Fonder un label… Chaque nouvelle étape est importante et chaque remerciement que nous recevons de la part des groupes dont nous nous occupons est un événement. Essayer, faire ses propres erreurs, apprendre et ne jamais laisser tomber.

Pourrais-tu me parler plus en détail des activités dans lesquelles vous êtes tous investis, à côté de Queerbeat (Alternative Spirits et Candy Club en particulier) ?

Nous avons organisé des Alternative Spirits de 1996 à 2000. Le but était clair dès le départ : pouvoir organiser une fête et y mélanger du mix et des concerts. À cette époque, j’organisais des concerts dans un club de Munich, mais la musique des afters ne collait jamais avec celle des groupes qui y jouaient. Enfin bref, à partir de là, on a réussi à fidéliser un public. Les gens qui étaient intéressés par ces fêtes savaient quel genre de musique les groupes invités allaient jouer. Et les purs teufeurs étaient souvent attirés par tout l’aspect live de ces fêtes. Avec les Alternative Spirits, on a essayé d’apporter autre chose, une autre attitude. Sachant que nous organisions souvent des concerts de groupes à guitare, nous voulions que les queers et les filles, en plus des mecs qui écoutent généralement ce genre de musique, s’y intéressent également. On s’est lâché sur la déco, l’aménagement du lieu, etc. De ce fait, nous avons de plus en plus touché la communauté gay et les gens qui se foutaient un peu de la musique qu’on leur passait généralement dans les bars queers. Cela m’encouragea à créer le Candy Club (même si tous mes potes m’ont, au départ, affirmé que cela ne marcherait jamais). C’est une queer party, mais il y a un équilibre assez intéressant au niveau de la fréquentation. 40 % de gays, 30 % de lesbiennes et 30 % d’hétéros. Même si j’aime quand toutes les confessions se mélangent, je veux que les hétéros soient conscients du fait que les autres mecs puissent ressentir une attraction pour eux et que s’ils/elles ne veulent pas être dragués, ils doivent trouver une manière une peu plus classe de le dire que celle habituelle. Et s’ils draguent à leur tour, je veux qu’ils acceptent d’essuyer un refus de la même manière. Bien évidemment, il en va de même pour les filles. Tout est une question de respect, au final. Pour résumer, Candy Club est une fête queer ouverte à tous et toutes, une fête avec un propos politique, qui s’intéresse à tout ce qui se fait de nouveau en musique dans la communauté queer et bien plus encore…

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Et en ce qui concerne les festivals auxquels Queerbeat participe, il me semble que la scène locale munichoise vous tienne particulièrement à cœur et que vous y restez fortement attachés…

Pense globalement, agis localement.
Plus tu sais comment ta scène et ta ville fonctionnent, plus tu touches à différents aspects et niveaux dans l’organisation d’un événement culturel, plus tu es apte à collaborer avec d’autres personnes dans le même délire que toi ailleurs en Europe ou dans le monde. Je ne pense pas être un connard car je sais avant ce que c’est de faire vivre sa scène au niveau local. C’est également important de garder les deux pieds fermement plantés dans ce terreau, de savoir d’où tu viens et qu’est-ce que t’as amené là où tu te trouves désormais. Dans le cas de Queerbeat, c’est la scène gay de Munich (avec le Candy Club et l’orga de la Gay Pride), la scène locale et nationale allemande (avec l’organisation de concerts et de festivals comme le Theatron, gratuit et organisé avec l’argent de la ville). Nous organisons enfin de gros événements pour le Bavarian Broadcast et la ville de Munich. L’argent qui découle de ces projets nous aide à en financer d’autres, plus personnels, et nous permet une plus grande liberté au niveau de notre travail.

Quelle est la crise dont vous parlez dans la phrase d’accroche que vous incluez dans chacun de vos mails (“Let's use the crisis in the music industry as a chance to get back to the principles of trust, sincerity, mutual respect and loyalty !”) ? Cette crise a-t-elle encore lieu d’être en 2007 ?

Ce n’est pas le piratage qui tue la musique, mais bien l’industrie elle-même. Même si je n’ai effectivement aucun problème à bosser avec de plus gros agents, de plus gros labels ou de plus grosses compagnies, je trouve qu’il y a effectivement un décalage par rapport aux changements que l’univers de la musique a subi depuis quelques années avec Internet. Ces grosses huiles ont vendu tellement de disques par le passé qu’elles n’ont pas compris ce qui leur arrivait. S’attaquer à Internet ou à l’échange de MP3 juste parce qu’on a peur de plus pouvoir financer le stand musique du prochain événement Mercedes (je compte plus les showcases pathétiques, les groupes que l’on prostitue face à un parterre de journalistes qui semblaient plus intéressés par le buffet que par la musique).
Il y a aussi un changement de stratégie. Dans les années 80, les labels laissaient le temps aux groupes de se développer, sur 2, 3 ou 4 albums. Les années 90 ont changé la donne, si tu vendais pas un million dans la semaine, tu te faisais éjecter. Ils se sont rendu compte d’une baisse et ont blâmé le piratage ou la copie, alors qu’il fallait surtout chercher du côté de leur attitude merdique et de leur arrogance crasse. Les consommateurs de musique ne sont pas aussi bêtes qu’on le pense, puis il faut dire aussi que ces gros labels ont produit assez de merde depuis 30 ans pour qu’on arrête de les soutenir dans cette démarche.
Cependant, chaque crise est une chance pour redémarrer sur de nouvelles bases et c’est pour cela que nous utilisons cette phrase. Nous essayons de travailler honnêtement, comme il était de coutume de la faire dans les années 70.
Et cette crise sera effectivement toujours d’actualité tant que les groupes ou les artistes ne seront pas respectés pour leur travail, tant qu’on arrêtera pas de les traiter comme des produits marketing. Il n’y a pas de mal à vendre des millions de disques, tant que ce résultat est causé par le talent et la personnalité de l’artiste, et non grâce à une stratégie marketing…

Que penses-tu de cette mode stupide de dire “this is gay” pour n’importe quelle raison ?

Je n’aime pas du tout cela. Les gens devraient réfléchir à ce qu’ils disent avant de l’ouvrir. Il y a pas mal de bouquins et d’articles qui traitent de la façon dont on utilise le langage. Il suffit de se renseigner et de les lire. Je n’en dirai pas plus à ce sujet.

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Récemment, les KIDS ON TV ont eu pas mal de problèmes avec MySpace. Vous les avez soutenus dans leur démarche et leur combat contre le site, demandant certaines modifications dans les conditions d’utilisation. Qu’en est-il aujourd’hui ?

À cause de la pression que nous avons pu exercer par le biais de notre mailing-list et d’articles que nous avons largement diffusé, nous avons pu obtenir la réinstallation de la page des KIDS ON TV par MySpace. En revanche, nous ne savons toujours pas pourquoi celle-ci a été supprimée (ni réinstallée d’ailleurs… Nous n’avons pas réussi à obtenir une explication correcte de la part des administrateurs du site).
Cependant, grâce au débat que nous avons pu susciter, nous savons désormais qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure, et pas seulement avec les artistes gay et lesbiens mais avec tous les utilisateurs du site en général : comment et jusqu’où des compagnies comme MySpace doivent ou ont un droit de regard sur les pages générées par leurs utilisateurs ? Non seulement nous demandons que certaines clauses soient changées dans les conditions d’utilisation, mais nous réclamons également une meilleure information sur les raisons qui pourraient provoquer une suppression de pages et nous exigeons que les utilisateurs soient prévenus avant que cela se produise, afin que ceux-ci puissent réfléchir plus en profondeur au contenu de leur page.
Nous avons démarré cette discussion avec des artistes gays et lesbiens parce que nous sentions que la censure à leur égard était plus présente. Si tel est véritablement le cas (mais sans explication de la part de MySpace, comment réellement savoir ?), nous nous devons de combattre cet état de fait (les gens issus de la scène queer qui subissent cette discrimination, mais également tous les autres). Si ce n’est pas le cas, dans ce cas nous devons le supporter tant bien que mal. Dans tous les cas, faites bien attention aux conditions générales d’utilisation de MySpace. Il y a plein de petits détails étranges et pas qu’en rapport avec un contenu sexuellement orienté.

Passons aux questions qui n’ont rien à voir. À quoi ressemble un beat queer ?

Bonne question. En ce qui me concerne, ce beat doit atteindre mon cœur. Puis mon corps (pour me faire danser) et ma tête (pour me faire réfléchir). Les meilleurs beats queers font les 3 à la fois. Ils peuvent être faits de guitares vrombissantes ou de bruits synthétiques. Il n’y a pas de style défini à proprement parler. Cela doit être un beat original produit par des gens cools. Il ne devrait pas être pensé dans un but lucratif ou commercial. En fait, il y a plein de beats queers différents, il suffit juste de trouver celui qui nous sied le mieux.

Queerbeat est en contact avec des artistes ou groupes Français ?

Nous avons accueilli à Munich des artistes tells que NOUVELLE VAGUE, COLDER, KATERINE, TAHITI 80… Mais il n’y a pas vraiment d’échange ou d’interactions avec la scène musicale allemande, donc c’est un peu difficile parfois… Sinon, j’ai vu BIRDY NAM NAM sur scène aux Transmusicales et j’ai trouvé ça intéressant, original, envoûtant. Puis j’aime beaucoup VALE POHER et d’autres, comme la MANO NEGRA, les BERURIERS NOIRS, DYONISOS… Ah oui, j’ai aussi tous les disques de Serge Gainsbourg…

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Joerg

Meilleur personnage gay de série télé ?

David Fisher dans Six Feet Under.

Meilleur et pire groupe avec qui vous avez travaillé au sein de Queerbeat ?

Pour le pire, c’est facile : OCEAN COLOUR SCENE. J’ai dû m’occuper de leur promo à l’époque où je bossais pour leur agent. De la grosse merde.
Les meilleurs : tous les groupes de chez Queerbeat.

Dis une chose gentille et une chose méchante à propos de chaque personne travaillant chez Queerbeat…

Je n’ai rien de méchant à dire sur notre collectif. Parfois il est effectivement difficile de tomber d’accord. D’un autre côté, tant que le capitalisme existera, je pense qu’il est difficile qu’un véritable collectif puisse exister. Néanmoins, nous nous respectons mutuellement et assez pour ne pas faire n’importe quoi.

Ta blague préférée ?

Je n’aime pas les blagues. Peut-être parce que je ne m’en souviens jamais…

Ta blague queer préférée ?

Haha je n’en connais pas non plus… Si j’en entendais une, là maintenant, je pense que ça me ferait rire. C’est bon de ne pas trop se prendre au sérieux. C’est d’ailleurs pour ça que j’apprécie énormément les comics de Ralf Köng.

L’émo de la fin ?

Merci pour ces quelques questions et l’intérêt que tu nous portes. Intéressez-vous aux groupes étranges et bizarres, aux gens étranges et bizarres, aux attitudes étranges et bizarres. Foutez-vous des minorités et n’essayez pas d’intégrer ce que l’on vous rabâche à longueur de journée. Trouvez votre propre voie et agissez !

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Thomas & Matze


www.queerbeat.de