J’ai trouvé un nouveau boulot seulement dix minutes après avoir démissionné. Un coup de chance. Je dis ça parce que c’est un travail qui me plaît bien. Archiviste. Le genre de métier un peu nébuleux. Tu te demandes bien à quoi je dois bien passer mes journées. Bah, je bouffe du papier. Des kilomètres de papier. Je fais des recherches pour des historiens. Je reconstitue des carrières pour des dossiers de retraite. Je communique des documents importants aux différents services des entreprises dont les archives sont sous ma responsabilité. Ah oui, c’est important de préciser que ce nouveau boulot s’inscrit dans un univers que je connais bien : la sidérurgie. J’ai beau vouloir m’éloigner de mes racines ouvrières, j’y reviens forcément. Mes parents, mes grands-parents, mes arrières grands-parents, tous se sont faits dévorer par les bouches de feu. Je n’y échappe pas. Mais ça me plaît. C’est peut-être le premier job qui ne me donne pas envie de me tirer une balle dans la tête au bout de deux semaines.
Une période d’essai, un mois d’intérim et je signai un CDD.
Je me suis vite habitué à traîner mes vieilles Converses entre les immenses armoires de rangement métalliques. Des monstres de 4 mètres de haut. 180 pièces réparties dans 3 zones différentes. Chacune pouvant contenir 192 mètres d’archives. Ce qui nous fait un total, à la louche, de 35 kilomètres d’espace de stockage. En vrai, c’est impressionnant. Par contre, je pensais pas m’habituer à mon nouveau rythme de vie. Je bossais à mi-temps au CE de Mittal Steel et ça m’allait très bien. J’avais le temps de faire vraiment tout ce qui me passait par la tête. Bosser le minimum pour pouvoir vivre au maximum. En théorie oui, mais dans les faits ça ne se passait pas vraiment comme ça. Les déprimes successives ne m’encourageaient pas vraiment à profiter de mon temps libre. Je ne l’employais que rarement de manière constructive. De ce fait, j’appréhendais le passage au plein-temps. J’imaginais déjà la souffrance de passer le tiers de ma journée au travail, le poids de la fatigue dans chacune de mes paupières au bout d’une semaine, le sentiment aussi effroyable qu’indicible de passer à côté de ma vie… Devenir un zombie, ou pire (parce que devenir un zombie est un de mes fantasmes depuis La Nuit des morts-vivants), un mec normal.
Je suis sorti dès le premier soir. Sans passer par chez moi au préalable. J’étais crevé mais j’avais pas envie de glander sur mon canapé comme une loque. J’ai appelé Delf, on s’est donné rencard au Tunnel. On a pris l’apéro. Happy hour. Vers 20 heures, j’étais déjà pété. Et j’ai continué. Romain est passé, on a bougé vers un autre bar. Jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Je fêtais rien en particulier. Surtout pas ce nouveau boulot. Il me plaisait, mais de là à chanter ses louanges… Je fêtais rien, j’avais juste envie d’oublier que j’entamais une nouvelle phase de ma vie d’ado qui refusait de grandir. Pas envie de me retrouver, à bientôt 26 ans, avec une vie bien réglée, bien établie, bien propre et bien chiante. Le premier soir a conditionné tous les autres. À l’heure où j’écris ces lignes, presque 6 mois plus tard, je crois pas avoir passé plus de 10 soirées seul dans mon appartement, au calme, avec le besoin de souffler et de me reposer. J’ai enchaîné des semaines et des week-ends complets de sorties, de beuveries, d’apéros et de concerts. Au final, quand j’y pense, avec un peu de recul, je me dis que c’est du pareil au même. J’ai peur de tomber dans une routine, de quelque nature qu’elle soit, alors je fais « autre chose ». Mais cet « autre chose » finit par devenir elle aussi routinière. Je n’évite pas ce que je redoutais le plus. J’y fonce, tête baissée. Néanmoins, malgré ces questions que je me pose à longueur de temps, j’apprécie ces moments passés à discuter avec mes amiEs autour d’une bière, dans ces lieux, les bars, prompts à développer une vie sociale devenue morne par la force du travail salarié.
J’ai annoncé la nouvelle à presque tout le monde. Y’a une fille qui vient d’emménager dans mon immeuble. Je ne connais que son prénom. Les premières paroles échangées, quand j’y repense, furent bien stupides… « Tu verras, les voisins sont tous des cons… Depuis que j’habite l’immeuble, j’arrête pas d’avoir des galères, des infiltrations dans les murs, des problèmes d’insonorisation… C’est tranquille ici mais j’espère que t’auras pas autant de soucis que moi… » Bravo mec, quelle belle entrée en matière ! Sur le moment, je crois que je lui ai fait peur. Elle a dû se dire : « T’as raison, les voisins sont tous des cons, toi le premier ! ». M’enfin, je poursuis dans ma logique implacable du « je sais pas quoi dire, alors je dis n’importe quoi, quitte à passer pour un abruti ». Hey, ça fait beaucoup de guillemets pour si peu de lignes… (voilà, ça le fait aussi quand je ne sais plus quoi écrire)
Elle habite au deuxième étage. Je m’arrête devant sa porte à chaque fois que je monte vers ma grotte. Bon, je bloque pas dix minutes comme un vieux pervers. Une seconde suffit. Une seconde où je laisse ces milliers de pensées me traverser l’esprit. Je me demande si elle est là. Ce qu’elle fait. J’espère secrètement la croiser dans l’escalier. Mais ça arrive rarement. J’espère secrètement la croiser au Tunnel ou à l’Elixir. Mais ça arrive rarement aussi. Et, si ça se trouve, elle a même peut-être oublié que j’existais, deux étages plus haut. Ça me donne envie de soupirer. Je soupire. Pffffff.
C’est le printemps. Ca fait 8 mois que je suis célibataire, je commence à trouver le temps long. Pas que je ressente le besoin de me caser direct avec la première fille venue. Non. Je me dis plutôt que le papillonnage me sied bien, mais qu’il met surtout du temps à arriver… Alors je sais pas si c’est effectivement la saison qui veut ça, toutes ces légendes liées aux plantes qui bourgeonnent, aux rongeurs qui copulent… Mais merde, j’ai envie de contact ! J’ai besoin d’être attiré et de me sentir attiré en retour, ça devient urgent là ! Une parole, une caresse, un baiser, je m’en fous, n’importe quoi, tant que ça met mon corps en émoi. Et l’inattendu se produit…
Les mois de mars et avril constituèrent une période faste à marquer d’une pierre blanche dans cette timeline chaotique de loser que je me traînai comme une casserole et qu’on appelai plus communément « vie sentimentale » (tu me le dis si je me répète trop souvent). 60 jours de surprises, de rencontres, de jeux, de cache-cache visuel, de discussions alcoolisées et passionnantes… Je ne compte plus les relations potentiellement consommables, mais non consommées (indeed). Des filles avec qui j’avais noué contact dans le monde merveilleux des Bisounours (Internet), et que je rencontrais pour la (presque) première fois. Quelques heures à discuter longuement, puis un baiser aussi court que passionné. Une fille avec qui je sentais ce courant électrique passer dans tout mon corps à chaque fois qu’on se prenait dans les bras l’un de l’autre. Des embrassades tout aussi fougueuses que désintéressées sexuellement, simplement motivées par la curiosité du « t’as quel goût, toi ? ». Et sans même aller jusque là… De longs regards échangés, d’une extrémité du comptoir à l’autre. Des sourires qui en disent longs, mais qui n’iront pas au-delà de ce qu’ils suggèrent pourtant. Parce qu’il ne faut pas. Parce qu’on a trop bu et qu’on ne veut pas répéter les mêmes conneries encore et encore ou heurter les sentiments de l’autre. Parce que…
Parce que c’était trop ! L’indolence a bon dos. Je peux lui faire porter le chapeau de ce que je veux, il n’empêche qu’il faudra que j’assume un jour ou l’autre la véritable nature de mes sentiments et de mes aspirations. Au bout de ces 2 mois d’une frivolité extrême (ça peut paraître exagéré de dire ça, mais pour qui me connaît c’est on ne peut plus vrai), je me suis senti vide.
Mais ces sorties nocturnes ont eu du bon aussi.
J’ai fini par la croiser.
jeudi, septembre 28, 2006
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
1 commentaire:
ironie mordante ...comme cette lignée de gueules noircies par les entrailles sombres dont tu descends toi aussi tu finis par te retrouver enfermé...
mais toi, tu as cette liberté d'evoluer, de changer, de sortir...
ironie de l'histoire, tu sembles bien seul tout en etant si entouré...
a quoi bon fuir toujours ? je me le demande souvent... il parait que le bonheur se cache dans ce quotidien routinier que tu decris si bien...
primrosehill. qui fait un commentaire long à la mesure de ton post ;-)
Enregistrer un commentaire